Modalités d'accompagnement du leader.
« Quand les tensions durent » qui peut s’entendre « quand les temps sont durs », le leader peut avoir besoin d’être accompagné, en vue de porter un regard complémentaire sur les tensions en présence au sein du système dont il a la responsabilité. Bien souvent, cette nouvelle perspective l’aide à prendre conscience de ce qu’il a à faire ou ne pas faire pour y répondre efficacement.
Formé à l’approche tensionnelle de l’analyse transactionnelle, fondée par Jacques Moreau et Véronique Sichem[1], je propose de considérer ici le terme de « tension » dans sa double acception décrite par Mokhtar Kaddouri[2]. La première renvoie à une « force » qui risque de créer un déséquilibre, de provoquer une rupture, une « force » qui agit de manière à écarter, à séparer les parties constitutives d’un corps. Dans sa seconde acceptation, la tension signifie[3], d’un point de vue psychologique, « l’état d’une conscience rassemblant ses forces et son tonus vers l’action. » En tant qu’intervenant, j’apprécie particulièrement ces deux acceptations qui laisse entrevoir qu’une « tension » peut autant être à l’origine d’une perte d’équilibre que d’une action visant son rétablissement.
1. Les tensions qui durent.
Qu’elles soient ressenties par le leader, ou vécue au sein de sa structure ou à la frontière de celle-ci, les tensions prolongées peuvent à être à l’origine d’une usure définitive, d’une rupture d’équilibre et d’une souffrance importante.
Pour l’illustrer, j’apprécie particulièrement la métaphore du « ressort » utilisée par Sahler et al[4]. Lorsqu’on accroche à un ressort, une charge modérée durant un délai court, on soumet ce ressort à un effort, au sens mécanique du mot. A l’intérieur de certaines limites, quand on enlève le poids, le ressort retrouve sa longueur d’origine, il n’a rien perdu de son élasticité et de sa souplesse. Au-delà de cette limite, le ressort ne retrouvera pas sa forme initiale, il s’est alors étendu et a perdu de son élasticité. On peut alors dire de son état, qu’il est devenu irréversible !
Un phénomène qui questionne les limites tensionnelles à ne pas dépasser en termes de poids et de durée ; et ce tant au niveau des individus que des collectifs. Et comme le soulignent Sahler et al., nous ne pouvons par ailleurs pas occulter que la tension du ressort peut aussi être questionnée du côté de l’organisation. Jusqu’à quel point, la performance globale et le fonctionnement collectif peuvent-ils être affaiblis par l’individualisation excessive des exigences et des logiques trop divergentes. D’après la Théorie Organisationnelle de Berne[5], nous pourrions dire : « Jusqu’à quel point le fonctionnement et la culture d’un groupe peuvent-ils être affaiblies par une capacité déficiente d’ajustement d’un nouveau membre?" Une capacité qui, selon Berne[6]recouvre deux dimensions : l’adaptabilité (qui relève de l’Adulte) en ajustant son imago de groupe au fil des expériences vécues dans le groupe et la flexibilité (qui relève de l’Enfant) en modifiant son scénario pour qu’il soit en accord avec les possibilités que présente l’imago de groupe.
2. La localisation des tensions sur les frontières du groupe.
En intervention, j’accompagne tout d’abord le leader à travers une localisation des tensions en présence, sur les frontières de la structure du groupe dont il a la responsabilité. Pour ce faire, nous utilisons un diagramme dynamique (ci-dessous) qui permet d’identifier les forces qui sont mises en œuvre par les principaux protagonistes et qui se rejoignent aux différentes frontières du groupe.
Selon Berne[7], on y distingue :
Sur la Frontière Externe (entre le groupe et son environnement) : d’une part, des forces externes exercées par l’environnement qui constituent la pression externe et d’autre part, la réponse des membres à l’égard de cette pression externe qui s’apprécie en termes de cohérence[8].
Sur la Frontière Majeure Interne (entre le leadership et les membres) : d’une part, des forces exercées par les membres sur la zone de leadership sous forme d’agitation interne et d’autre part, la réponse du leadership qui s’analyse en termes de sécurité[9].
Sur les Frontières mineures Internes (entre membres ou catégories de membres) : les forces exercées par les membres sont nommées par Berne : « inclinations individuelles ». Il s‘agit de « la tendance de chaque membre du groupe à se comporter en fonction de sa propre personnalité et de son besoin de s’exprimer individuellement au risque de déstabiliser le groupe ou dans le but de le déstabiliser ». Les tensions provoquées par le croisement de ces inclinations individuelles vont soit se réguler si les membres sont en capacité de coopérer au nom des raisons pour lesquelles elles travaillent ensemble. Soit, dans le cas contraire (compétition), les tensions prendront la forme d’une agitation qui devra alors être prise en compte par le leadership.
La localisation des tensions et la compréhension de leur nature peuvent faire apparaitre lors de l’accompagnement, des leviers d’actions concrets tels que s’assurer des conditions de la coopération, prendre en compte les soifs des collaborateurs, renforcer la cohérence des membres et favoriser l’ajustement des imagos en sont quelques exemples. Dans tous les cas, la stratégie vise à réduire la déperdition d’énergie sur les frontières concernées et à faciliter le réinvestissement de cette énergie dans l’Activité du groupe.
A travers cette approche, nous avons travaillé essentiellement sur les dimensions visibles des aspects tensionnels tant au niveau des habiletés relationnels du leader (transactions, jeux préférentiels, persona, …) qu’au niveau de l’efficacité de l’organisation (frontières, dynamique sur les frontières, ingrédients de la coopération et jeux de système). Il peut alors apparaitre indiqué d’aller plus loin (voir 2ème partie de cet article) dans l’accompagnement proposé au leader sur base d’un contrat visant à explorer ensemble les dimensions invisibles des tensions et ce, tant au niveau individuel que collectif.
[1] Premier enseignement : « Approche tensionnelle en analyse transactionnelle », à Huccorgne, le 22 Aout 2019.
[2] Kaddouri M., Les dynamiques identitaires : une catégorie d’analyse en construction dans le champ de la formation des adultes, Savoirs, Éditions L’Harmattan, 2019, n°49, pp. 13 à 48.
[3] Dictionnaire de la formation et du développement personnel, Lionnel Bellenger et Philippe Pigallet, Paris : ESF, 1996, pp. 303.
[4] Sahler B., Berthet M., Douillet P. et Mary-Cheray I., Prévenir le stress et les risques psychosociaux au travail, Éditions du réseau ANACT, Lyon, 2007.
[5] Développée dans son livre « Structure et dynamique des organisations et des groupes », Éditions d’Analyse transactionnelle, Caluire, 2005.
[6] Berne E., Structure et dynamique des organisations et des groupes, Éditions d’Analyse transactionnelle, Caluire, 2005, pp. 221-223.
[7] Berne E., Structure et dynamique des organisations et des groupes, Éditions d’Analyse transactionnelle, Caluire, 2005, pp. 107.
[8] « Cohérence » est préférée à « Cohésion » par Éric Berne dans les notes de son livre : « Structure et dynamique des organisations et des groupes, Éditions d’Analyse transactionnelle, Caluire, 2005, pp. 117.
[9] « Sécurité » est préféré à « Cohésion » par Jacques Moreau, Notes de la formation « Voyage au cœur des groupes (TOB)», du 15 au 16 janvier 2014.
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